Le jazz aussi a sa start-up: le Sunset Sunside
- Véronique Ghidalia
- 27 août 2016
- 6 min de lecture
De la sortie de films intellectuellement débiles à la prolifération des parcs d'attraction, comment échapper au néant culturel qui sévit en août à Paris? En se réfugiant au Sunset Sunside. Rue des Lombards, au coeur de la capitale, cette antre du jazz propose une programmation à faire pâlir les festivals d'été de France et de Navarre.
En exclusivité, Stéphane Portet, créateur du club, évoque l'identité du Sunset Sunside, son profil de start-up au coeur de la planète jazz et les grands noms qui ont désormais associé cette scène à un label de qualité.
- Véronique Ghidalia: Stéphane Portet bonjour. Vous avez créé cet endroit en 1983. Depuis, 1993, vous en êtes aussi manager et directeur de la programmation. Ce club est le premier du genre à avoir élu domicile rue des Lombards, y créant un tropisme du jazz. Peut-on dire qu'il a donné l'impulsion aux autres?
- Stéphane Portet: absolument!
- V.G: Parmi d'autres caractéristiques, et sans fausse modestie, peut-t-on dire que le Sunset Sunside est un incubateur de talents sur la planète jazz?
- St.P: C'est exactement le terme. Nous sommes ici pour développer les grands talents de demain, ceux qui iront à Jazz à Marciac ou Jazz à Nice. Notre rôle est de découvrir et de faire découvrir ceux qui seront les têtes d'affiche de demain. Et c'est d'autant plus compliqué qu'aujourd'hui, les gens viennent plus pour les talents qu'ils connaissent que pour les autres.
- V.G: Ce qui est frappant est que les artistes - désormais vedettes - qui ont "éclot" ici se sentent toujours aussi bien. On a vu récemment ici, dans le cadre de Pianissimo, soirées dédiées aux pianistes jazz, Giovanni Mirabassi qu'on ne présente plus, fidèle d'entre les fidèles, dans des échanges très décontractés avec le public...
- St. P: C'est vrai. Nous avons la chance d'accueillir régulièrement des artistes réputés qui ont commencé par notre scène et qui ont la gentillesse de venir régulièrement pour nous aider. On constate donc que ce lieu est extrêmement important pour détecter les talents de demain. Si ces grands noms ne sont pas là aujourd'hui pour redonner le coup de main qui fut le nôtre à l'origine, alors le club à terme sera menacé. Dans le cadre de Pianissimo, effectivement, nous avons la chance d'avoir sur scène Yaron Herman. Yaron a remporté le trophée du Sunside il y a10 ans. Devenu star internationale, il revient ici, régulièrement, comme beaucoup de musiciens, dont Avishaï Cohen, le bassiste qui est venu deux jours, très récemment.
Je crois que le contexte du club, son esprit, la proximité avec le public, les échanges, la création de nouveaux répertoires sont uniques! On ne les retrouve pas dans les festivals. L'esprit club et l'identité Sunset Sunside sont essentiels dans le vie du jazz live aujourd'hui.

"Nous avons de surcroît la chance d'avoir un merveilleux piano
qui fait la réputation du Sunset Sunside" (Stéphane Portet)
- V.G: Parlez-nous justement des événements Pianissimo, qui ont débuté fin juillet et se prolongeront jusqu'en début septembre. Vous faîtes à cet effet un remarquable effort de programmation, de surcroît dans un contexte qui n'est pas très favorable. Vous proposez, Giovanni Mirabbasi, Yaron Herman et prochainement Yonathan Avishaï..
- St.P: ... et Jérémy Hababou. Effectivement, cette idée a germé il y a une dizaine d'années. L'idée est qu'au mois d'août peu de choses passent à Paris. Le Sunset Sunside est le seul club quasiment ouvert en cette période. Nous nous sommes dit: pourquoi ne pas créer un festival en août, pour les Parisiens et les touristes ? Cette idée a plu immédiatement! la programmation aussi. Mais je ne vous cache pas que les cachets liés à cette programmation de qualité sont très onéreux. Et c'est toujours un pari extrêmement audacieux à tenir qu' organiser un festival de jazz à Paris en août: le public sera - t - il au rendez-vous? Et il l'est, depuis onze ans! Nous avons de surcroît la chance d'avoir un merveilleux piano qui fait la réputation du Sunset Sunside et qui accompagne l'idée de mettre en avant les musiciens, ici les pianistes de grand talent mais aussi les plus jeunes tel Rémi Panossian, qu'on ne connaît pas bien encore mais qui sera parmi les têtes d'affiche de demain.
-V.G: Je rappelle en effet que le concert de Yaron Herman dimanche 21 août était complet, ce qui relève de l'exploit en ce moment à Paris.
- St.P: Les 3 soirs étaient complets! Yaron est une vraie locomotive! je n'ai aucun doute sur le fait qu'avoir programmé Yaron quatre ou cinq soirs aurait permis d'afficher complet. C'est une grande fierté pour nous: cela signifie que le travail investi depuis des années fonctionne, c'est certain. Pas pour tous, malheureusement mais c'est agréable de voir des musiciens qui arrivent à gravir des échelons et deviennent des têtes d'affiche. Une autre fierté! Mais la plus grande reste Avishaï Cohen qui a passé 4 ou 5 saisons chez nous et, après, est allé directement à l'Olympia. Aujourd'hui il se produit dans les plus grands festivals. Il revient au Sunset Sunside faire une cure de jouvence pour se remémorer les bons souvenirs, nous remercier et nous encourager à continuer.
"Les musiciens israéliens sont devenus des musiciens indispensables aujourd'hui en Europe [...] Notre rôle ici est de les défendre par qu'ils nous aident bien et qu'ils ont beaucoup d'idées! " (Stéphane Portet)
- V.G: Bientôt vous accueillerez Yonathan Avishai, qui est notamment le pianiste du célèbre Omer Avital quintet - mais qui n'est pas que cela puisqu'il se produit depuis un certain temps au sein d'une formation indépendante. Parlez-nous de lui en quelques mots...
- St.P: J'ai découvert Yonathan il y a 2 ans, effectivement avec Omer. Tout d'abord, je ne pensais pas qu'il habitait en France mais j'ai découvert récemment que c'était le cas, ce qui facilite le fait de l'accueillir régulièrement. C'est un pianiste fabuleux! Ce que j'aime beaucoup chez les musiciens israéliens, c'est qu'ils possèdent cette culture orientale, enrichie de la culture jazz. Ils sont allés aussi à l'école new-yorkaise donc se sont confrontés aux leaders incontestés du jazz d'aujourd'hui. Par cette mixité qu'ils ont réussi à acquérir, ils sont devenus des musiciens indispensables aujourd'hui en Europe. Il y a une vague jazz israélienne extrêmement importante, citons Jérémy Hababou par exemple, qui véhicule une culture israélienne musicale très forte. Notre rôle ici est de les défendre par qu'ils nous aident bien et qu'ils ont beaucoup d'idées!
- V.G: C'est un engagement courageux. J'aimerais que nous parlions d'un prochain événement très important: les Trophées du Sunside dont Yaron Herman a été lauréat...
- St.P: Nous nous sommes rendus compte qu'il était important de constituer un tremplin pour donner un coup de pouce à ces jeunes, comme nous l'avons fait avec Yaron et plein de musiciens. Les musiciens jouent gracieusement, ce prix est honorifique et suivi par les media, ce qui permet aux artistes d'avoir un c.v un peu plus charnu. Le Sunset Sunside est en effet un label de qualité. Notre club fait démarrer des carrières et, chaque année, le public attend avec impatience les trophées du Sunside. 9 à 12 groupes se produisent, au sein d'un répertoire éclectique. Il n'y a pas d' enfermement dans un répertoire particulier: on peut avoir du world - jazz, du jazz - fusion, de l'électro - jazz... l'idée est de détecter ceux qui seront les grands noms de demain. Ce festival est gratuit et attire ainsi beaucoup de jeunes qui découvrent de fait cette musique. Le but est effectivement de propulser des musiciens en haut de l'affiche et d'être parallèlement pour le public une clé pour découvrir cet univers. Il est vrai qu'on a le sentiment que le jazz est un monde un peu fermé, un univers d'initiés. Pas du tout, comme le démontre notre public!
- V.G: Le jazz est par définition une univers de liberté et le Sunset Sunside, par sa programmation, aussi. Or, vous nous transmettez tout cela pour l'amour du jazz...
- St.P: Ce n'est pas facile. Depuis les événements du 13 novembre dernier nous sommes frappés durement, mais nous avons la foi, soutenus très fortement par le monde du jazz, les musiciens. Cet endroit fêtera prochainement ses 35 ans et j'espère pouvoir le diriger encore longtemps!
- V.G: Merci beaucoup Stéphane.Nous l'espérons tous aussi... très égoïstement!
Mardi 30 août à 21h: Yonathan Avishai Quartet in Pianissimo volume XI
Sunset Sunside, 60 rue des Lombards , 75001 Paris
http://www.sunset-sunside.com/
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