Stéphane Freiss: beau et ... pas bête!
- Véronique Ghidalia - 2 février 2017 - Interview
- 18 févr. 2017
- 9 min de lecture
« Il y a une solitude colossale qu’il faut combler à sa manière »
C’est avec Francis Veber, auteur du Dîner de cons, que Stéphane Freiss revient au théâtre. Un animal de compagnie met en scène un couple, Henry journaliste et Noémie décoratrice. Lui, souhaitait un enfant. Elle, a privilégié sa carrière. Une comédie acerbe sur l’usure du couple et surtout l’absence d’écoute que comblera Pignon le poisson rouge.
En faisant chauffer l'eau du thé, histoire d'inaugurer la nouvelle bouilloire de sa loge, Stéphane Freiss se confie...

- Véronique Ghidalia: Pourquoi avoir souscrit à ce projet ?

- Stéphane Freiss: Tout d’abord Francis Weber est un grand auteur de comédie. Ensuite, n’ayant pas joué de pièce depuis longtemps, j’avais envie de revenir dans une pièce où je pouvais m’épanouir. Je n’avais envie d’une prise de tête au théâtre car l’aventure au théâtre est une aventure particulière : soit le spectacle marche et l’aventure humaine et au rendez-vous, dans ce cas c’est formidable. Si l’aventure humaine est heureuse mais qu’il n’y a pas de spectacle, très vite l’aventure humaine devient moins heureuse. Et s’il y a un grand spectacle mais que l’aventure sur scène, avec les partenaires n’est pas heureuse, tu ne prends pas de plaisir mais tu gagnes très bien ta vie, mais dans les deux cas tu n’es pas heureux et tu te demandes ce que tu fais là. Donc, pour éviter cette extrémité que je n’avais plus envie d’atteindre parce que j’ai passé l’âge de ’’ m’emmerder ‘’ - et surtout dans ces moments - là, dans l’un ou l’autre des cas, tu as moins d’indulgence à l’égard de la frustration. Tu as moins d’indulgence pour tout. A commencer par toi : « Je n’ai pas compris, je n’ai pas flairé que le metteur en scène ou les acteurs n’étaient pas des gens généreux…comment ai-je pu passer à côté de cela ? ou alors Comment ai-je pu accepter de jouer ce spectacle?». Il y a une chose assez étonnante avec le théâtre, parce que rarement, tu mesures la raison pour laquelle tu as choisi une pièce, la vraie raison. Si le texte te tombe des mains, il ne fait pas insister sauf si c’est une pièce de Lars Lauren ou Botov Strauss ou de Guitry ! Parfois, le texte ne te tombe pas des mains mas tu te demandes : « Qu’est-ce que j’aime là – dedans ? ». Le texte ne parle pas tout de suite. Tu es sur ce qui se dit, sur les mots mais l’entre-ligne, c’est ce que le spectateur voit. Et c’est pour cela que souvent, je découvre la raison réelle pour laquelle j’ai accepté de faire un spectacle pendant que je le joue et parfois pas mal de représentations après, parce que c’est le retour des gens qui m’amène à lire entre les lignes. J’ai appris les lignes et le public m’apprend à lire entre les lignes. Cela remonte jusqu’à « ma surface » et je me dis : « J’avais besoin de cela, j‘étais en manque de cela», ou « je ne voulais plus abonder dans ce sens - là» ou « J’avais simplement besoin d’une chose simple qui était cela » ou encore parce que quelque chose m’échappe encore au moment où je me rends compte que quelque chose m’échappe –mise en abyme - . Tout cela est excitant ! Mais le théâtre ne te parle pas immédiatement comme l’actualité pourrait te parler. La fiction a toujours – et c’est magnifique ! – un rapport nucléaire avec toi. C’est une décharge qui se joue sur un temps plus long et qui parfois joue à cache - cache jusqu’au bout.IL y a parfois des spectacles que tu as acceptés, même s’ils ne t’ont donné ni plaisir, ni succès. Or, ici, il avait des gages. Le théâtre ici est très beau. J’avais au début des a priori en me disant qu’on y avait joué des pièces disons très "discutables''. Mais le théâtre s’est refait une santé et une image depuis trois ans quand il a ré – ouvert : il a été relifté presque de fond en comble. La salle est restée telle qu’elle était, parce qu’elle est très belle. La direction, le choix des spectacles et même tout ce qui est autour de la scène : on sent donc la volonté de faire de ce lieu quelque chose d bien plus noble. Michel Bouquet, d’ailleurs, l’a étrenné avec Le roi se meurt et depuis, il n’y a que des succès ! donc, tu te dis : « Je suis porté par un lieu porté par les succès, Veber est un gage de réussite, très souvent ». Encore une fois, j’avais envie de me faire plaisir, de me détendre, de ne pas me prendre la tête.
« Pour ma partenaire, Veber a été très classe ! »

- S.F: Et puis, mais cela je ne pouvais pas le savoir, j’ai rencontré des gens formidables humainement. Pour ma partenaire, Veber a été très classe ! Il m’a dit : « Avec qui as-tu envie de jouer ? ». Or, j’avais vu cette actrice jouer dans un spectacle. Il se trouve qu’elle est sur scène et dans la vie super facile, sur scène on l’apprécie comme artiste. Quant àDounia Tartikova celle qui incarne une Russe, elle fait partie d’un des cinq plus grands films que j’ai vus. Elle est russe et voulait se faire une nouvelle vie en France alors qu’elle a été très starisée, elle a été quatorze fois présente à Cannes, les gens ne le savent pas. Elle a fait quatre ou cinq fois la montée des marches pour des films hors compétition officielle. Elle a fait ce film magnifique Bouge pas, meurs et ressuscite. Cette pièce demande beaucoup d'énergie, tu ne peux pas y aller comme cela ! je change deux fois de chemise dans le spectacle !
-VG : Effectivement, vous ne tenez pas en place un instant, c’est une véritable débauche d’énergie alors qu’Henry, le personnage que vous incarnez, est dans une vie de couple amorphe…
– S.F: Regardez, dans la vie, les couples qui ne vont plus bien, essaient de tuer ou de noyer la réalité ou…
– V.G: … le poisson ?
(Rires) – S.T: oui, oui ! celle-là je l’ai faite pas mal de fois mais pas avec vous ! ce couple essaie de se faire croire qu’il a encore une vie, il est très mal ''barré''. Mais justement, c’est peut-être l’énergie du désespoir qui les fait bouger sur scène ! C’est physique ! j’ai encore une représentation ce soir et je peux vous dire que Waouh !
-V.G : En tous les cas, vous gardez la ligne! Six ans après, vous n’avez pas bougé ! (cf. note 1)
- (Rires) S.T: Je peux vous dire que je mouille la chemise !
- V.G: Parlons de l’animal de compagnie, titre de la pièce. Pignon, le poisson rouge, tourne en rond dans son bocal, ne comprend rien mais fait néanmoins office d psychanalyste. Comment parvient-il à ce statut ?
– S.T: Je ne veux pas faire de tort aux psychanalystes mais les gens auxquels j’ai raconté les choses les plus intimes de ma vie n’ont pas été ceux que j’ai payé nécessairement pour le faire. Et tout le monde me comprendra quand on me lira : cela signifie que c’est dans des situations assez paradoxales qu’on se livre, dans la salle d’attente d’un médecin, dans un avion ou un aéroport. Là, tu sais que la rencontre sera sans lendemain et sans rencontre pour ton intimité, donc tu lâches des choses très intimes, ou parce que tu en as besoin. Et donc cette espèce de partenaire qui n’est pas qu’une oreille et qui va te répondre mais qui est l’élément sur ton chemin pour recevoir ton état. Encore une fois, c’est ce que je dis dans le spectacle, le psy fait « hein, hein, hein… »: il ne fait pas beaucoup plus que Pignon.
- V.G: Certes, mais le poisson rouge ne comprend rien, et il le dit. Les psy comprennent-ils d’ailleurs ce qu’on leur confie ? (Rires)
- S.T: Vous avez raison. Parfois on abandonne la thérapie avant d’être allé au bout parce qu’on en a marre de parler à un poisson rouge justement ! Donc, autant faire l’économie d’un type qui te vide les poches … évidement, là je suis trop rapide et je ne fais pas la guerre aux psy parce que c’est une profession dont je reconnais les mérites. Donc, ce poisson va se découvrir être l’intermédiaire idéal pour ce couple. En fait, c’est le couple qui le fabrique.
- V.G: Pour 55% des Français, le poisson rouge est l’animal de compagnie préféré des Français. Pour 52% d’entre eux, adopter un animal de compagnie est indispensable pour donner et recevoir d’affection. Pour 11% d’entre eux, il comble la solitude. Quelle réflexions ces chiffres vous inspirent – ils ?
- S.T: Quel pourcentage a une relation intime avec un poisson rouge ? C’est ce que j’aimerais savoir (rires)
- V.G: No comment !
- S.T: Pour ceux qui, dans les 55% voient dans cet animal leur animal de compagnie préféré, cela ne les empêche sûrement pas d’avoir de l’affection, de la tendresse ou de l’amour pour leur conjoint. Je ne pense pas que le besoin de tendresse pour un animal de compagnie s fasse au détriment de ton histoire de couple. Certains vont jusqu’à pense que leur chien est leur enfant, d’autres habitent à la campagne et c’est un très bon prétexte pour les sortir et aller respirer. En général, quand on est dans un couple tout frais, tout neuf, que tu es passionné et plein d’amour, la première chose que tu vas faire n’est pas d’aller acheter un animal de compagnie. On est bien d’accord ? Ce n‘est donc pas un hasard si F. Veber choisit de traiter de l’usure du couple et d'absence de l’enfant comme cela. Mais ce que j’aime comme a priori d départ, c’est que le poisson rouge ce n’est pas justement l’animal auquel on s’attend pour recueillir des confidences.
« Il y a une solitude colossale, qu’il faut combler à sa manière »
- S.T: En fait, quand cela ne va pas, on parle au dernier, en général, et cela suffit. Et pour ne pas passer complètement pour un dingue après de son voisin qui te regarde à travers la fenêtre et te voit parler à ta théière ou à ton thermos, tu prends un poisson rouge. Mais au fond, qu’est - ce que ça change ? Je pense que cette intimité n’a rien de particulièrement inquiétante. Il y a une solitude colossale, qu’il faut combler à sa manière. Ou si la solitude t’inspire et que tu n’es pas en manque d vie sociale, tu n’as pas besoin de ça. Tu as juste besoin de la présence d’un petit quelque chose, qui est suffisant pour te satisfaire.
- V.G: Avec l’animal s’instaure une relation, tour à tour pour Henry et Noémie. Faut-il voir plus un besoin d’écoute que de réponse ?
- S.F: J’ai un peu répondu. Mais votre premier sondage me fait dire qu’il y a beaucoup de solitude ! Et c’est un enseignement qui devrait inspirer… je ne sais pas, d’ailleurs, qui devrait prendre en compte cela. Une société qui ne va pas bien … A une époque, la famille vivait entre elle. Maintenant, il y a une dislocation de la famille, et pas plus d capacité à pouvoir se parler. Donc, à qui parles – tu ? Je peux comprendre qu’on n’a pas envie de se confier à un psychanalyste : on ne se sent pas à l’aise, on n’a pas les moyens, on n’a pas été éduqué comme cela. Ce que j’aime dans cette pièce, c’est qu’on s’amuse mais comme vous le disiez, c’est un sujet réel.
- V.G: On a le sentiment d’ailleurs qu‘il y a une inversion de l'ordre normé des choses dans cette pièce : chaque membre du couple est en fait l’animal de compagnie de l’autre, silencieux. Quant à l’écoute qu’on est censé trouver au sein du couple, elle est du côté de l’animal de compagnie…
- S.T: Et c’est l’écoute parfaite parce qu’il ne sera jamais contre toi, toujours de ton avis ! (Rires)
- V.G: En réalité, cette pièce excède le strict registre de la comédie ?
- S.T: Bien sûr, Francis Veber est malin ! Il n’a pas écrit une comédie de boulevard de bas étage!
- V.G : Dans d’autres pièces de F. Veber, telle Le Dîner de cons on retrouve le thème du

dysfonctionnement des relation humaines. Est-ce un motif récurrent chez l'auteur ?
- S.T: Oui, oui !
- V.G: Nous évoquions l’aspect physique de la pièce. Parlez-nous de la mise en scène...
- S.T: Il a fallu se fondre dans l’écriture. Or, ce qui est paradoxal, c’est que tu t’aperçois que ce qui te bloque au début te libère ensuite. C’est parce que tu connais le texte et que tu as accepté de le jouer tel qu’il est écrit que tu finis par y trouver ton compte et ta liberté. Parce que la musicalité du vocabulaire, voire sa musique se suffit à elle-même. Et je comprends pourquoi Francis se méfie des metteurs en scène : les metteurs en scène vous vouloir justement transgresser l’auteur. Or Francis sait, quand il écrit, que le meilleur moyen de se transgresser, c’est de de jouer le texte tel qu’il est. Quand on arrive sur scène, on ne voit pas que la mise en scène joue à cache - cache avec nous derrière les mots. Au bout du compte, le verdict, c’est le spectacle.
- VG : Vos projets ?
- S.T: Un film lié à Israël, dont je termine l’écriture et pour laquelle je me suis attaché le concours du rabbin Delphine Horvilleur. Je suis aussi impliqué dans une association israélienne qui, par le biais du théâtre, vise à la réinsertion de jeunes toutes origines confondues. Je suis aussi en tournage en Italie dans un très belle série sociale et politique, comme les Italiens savent bien faire…Donc quand vous me dîtes « vous ne grossissez pas !» … en fait je n’ai pas le temps !
- V.G: Stéphane, et le thé?...
1.Extraits parus dans Actualité Juive, 10 février 2017
2. En 2010, Stéphane Freiss a aimablement accepté d'interpréter « Homme-Femme, mode d'emploi », seconde partie des Soliloques de Rachi : Allen, Zweig, Rabbi Eliezer...et moi (création originale de Véronique Ghidalia pour l'Espace Rachi). Le 1er soliloque « Pourim : parlez-moi d'humour » avait été interprété par Ariel Wizman.
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